COVID. Apprendre à danser sous la pluie ?

« La vie, ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie »

Derrière cette phrase, attribuée (probablement à tort) au philosophe stoïcien Sénèque, se cache une hypothèse concrète : et si cette période de crise sanitaire et de confinements, présentée comme un drame mondial aux accents de fin du Monde, dissimulait une formidable opportunité pour les entreprises ?

Bien sûr,il ne s’agit pas ici de banaliser les décès, les souffrances des malades ou l’épuisement des personnels de santé dont les efforts au sein d’un système aux lourdeurs bureaucratiques effrayantes, sont d’autant plus admirables. Non, je souhaite ici évoquer de possibles chances pour les entreprises. et pas seulement celles qui fabriquent des masques, des respirateurs artificiels, ou des gels hydro-alcooliques.

Deuil national

Un de mes amis, spécialiste en développement commercial *, me faisait remarquer récemment que la pression médiatique avait transformé le confinement auquel nous sommes tous astreints, en « deuil national ». Comme si ce confinement devait figer toute action, toute initiative, tout mouvement des entreprises, en « attendant que passe l’orage ».

Lors d’un entretien récent avec l’un de mes clients, directeur des opérations informatiques d’un grand groupe, celui-ci m’expliquait que l’activité de son groupe avait été réduite de 75%, à cause de la fermeture de nombreux établissements pendant le confinement. La décision avait donc été prise d’annuler 80% des projets prévus sur l’année, et de stopper plus de la moitié des prestataires en place, ne conservant des ressources que pour l’exploitation informatique quotidienne.

Réduire la voilure ?

Si le réflexe de « réduire la voilure » semble être du bon sens en période difficile, il s’avère souvent contre-productif. Je ne parle pas ici des petites entreprises qui ont des difficultés de trésorerie, et pour qui quelques mois d’inactivité peuvent amener au dépôt de bilan pur et simple. Pour celles-là, le problème ne se pose pas puisque c’est un enjeu de survie.

Mais pour la majorité des PME, des ETI et à fortiori des grands groupes, le problème ne se pose souvent pas en termes de survie. La raison semble s’effacer au profit de la panique. Il ne m’appartient pas de m’exprimer sur la nécessité ou pas de ce confinement. C’est plutôt l’opportunité que cela représente qui m’intéresse ici.

Le confinement étant conjoncturel (quelques semaines/mois) et non structurel, l’activité va repartir, et probablement sous forme d’une vague brutale et non en progression douce. Si on licencie ou que l’on stoppe des prestataires essentiels, qui va assurer la production quand la vague sera là ? Les anciens prestataires (et leur expérience) ne seront peut-être plus disponibles. Et s’ils le sont, leurs tarifs auront peut-être augmenté en fonction de l’offre et de la demande. Au delà de l’image désastreuse des collaborateurs vus comme variable d’ajustement, ces effets de balanciers peuvent être destructeurs en terme de capitalisation de la connaissance et du savoir-faire.

L’urgence est une alliée précieuse

Contrairement aux idées reçues, l’histoire montre que la créativité et l’imagination sont décuplées en période de crise. On ne compte plus les défis extraordinaires et les idées géniales concrétisées en temps de guerre.

De Marie Curie imaginant les premières cabines de radiologie mobiles pendant la grande guerre (les fameuses « petites Curies ») pour détecter les fragments de métal dans le corps des soldats, au tristement célèbre projet Manhattan accéléré à la suite de l’attaque de Pearl Harbour, en passant par l’invention du Dakin pour désinfecter les plaies (1915) ou la course de l’équipe de Turing pour « casser » la machine Enigma, l’homme a toujours été créatif et ingénieux dans l’urgence (voir « l’urgence, une amie qui vous veut du bien »). Sans doute est-ce l’occasion de relever des défis de l’entreprise que l’urgence impose !

Centre de coûts ou création de valeur ?

« Au final, il s’agit peut-être uniquement d’opérer un choix entre deux modèles tout aussi valides l’un que l’autre. Soit le modèle d’une entreprise qui voit de la fierté dans l’art de fabriquer des objets techniques et pour cela de développer les gens, de la valeur à conserver un savoir-faire en interne, à développer en permanence ses talents, à irriguer les tissus locaux en emplois, à faire collaborer étroitement conception et fabrication pour des produits toujours meilleurs pour le client.

Soit celui d’une entreprise qui pense que ses usines sont avant tout des centres de coûts, et que celles-ci ne sont pas indispensables pour son succès. Pour ma part, mon choix est fait »

Taiichi Ohno, Toyota.

La course au profit court-terme ayant été érigée en valeur suprême depuis des décennies, de nombreuses entreprises (et même l’état) découvrent aujourd’hui que la sous-traitance offshore n’est finalement pas cette fameuse panacée permettant de faire facilement briller un bilan. Centres d’appels à l’île Maurice ou au Maghreb, fabrication en Chine, usines en Pologne ou en Roumanie, peuvent vite devenir un problème en période de crise.

La chasse aux coûts a ses limites. Peut-être ce drame mondial aura t-il comme vertu de permettre la réorganisation des entreprises en privilégiant la proximité et la culture des talents internes ? Le récent et excellent ouvrage d’Isaac Getz (« L’entreprise altruiste ») fourmille d’exemples d’entreprises ayant choisi cette voie à contre-courant, tout en restant leaders.

Cultivez la sobriété

Cette période est aussi l’occasion de faire le point sur toute la non-valeur accumulée dans l’entreprise. La baisse de l’activité est une excellente occasion pour analyser en profondeur l’efficience de l’organisation, les postes à l’utilité discutable, les structures pesantes, les processus lourds et inefficaces, les instances de pilotage obèses, les validations inutiles, les contrôles excessifs.

En période normale, tout euro dépensé devrait l’être avec justesse, et améliorer d’une façon ou d’une autre le service offert au client. C’est encore plus vrai en période de crise. Faisons d’une contrainte une opportunité, et regardons comment nous pourrions faire plus efficient pour moins cher. Les sources de non-valeur dans l’entreprise sont infinies. Cette crise peut aider à les tarir. Pas en licenciant ou en arrêtant les prestataires clefs, mais en transformant le fonctionnement quotidien.

Améliorez vos processus & outils

En règle générale, « on n’a pas le temps de s’améliorer ». Eh bien pour un fois, il se trouve qu’on a le temps. C’est donc une période rêvée pour opérer des changements radicaux. Par exemple, passer le portefeuille de projets au filtre d’une matrice Hoshin en suspendant tout ce qui ne contribue pas directement aux axes stratégiques. Ou bien entendu, consacrer enfin du temps à l’établissement d’un plan de continuité d’activité, souvent négligé ou peu mis à jour.

Ou encore, analyser les causes racines des problèmes récurrents, profiter de la baisse de production pour mettre en œuvre des actions autour de la qualité, mettre en place ou améliorer le management visuel, optimiser les postes de travail, réduire le nombre d’étapes, améliorer les processus de maintenance, faire de la veille technologique, déléguer le pouvoir au plus proche de l’action, réorganiser des ateliers ou des bureaux, faire du 5S.

Ce peut être aussi l’occasion extraordinaire de terminer des projets informatiques qui traînent, ou de faire du refactoring, de nettoyer les bugs persistants, de renforcer les architectures, car s’il est bien un domaine où tout peut être fait à distance, c’est bien le développement informatique, et tout particulièrement avec l’apport des démarches agiles (issues du Lean, rappelons-le) qui priorisent les développements en fonction de la valeur créée pour le client.

Trouvez (facilement) des experts

Comme la majorité des entreprises suspendent, annulent ou reportent les missions, le marché dispose de ressources à la fois compétentes et disponibles. Au-delà du télétravail et des réunions (Skype, Teams, Discord ou autre) permettant déjà de faire beaucoup de choses, les déplacements sont autorisés pour aller travailler, et ces experts peuvent quasiment effectuer leurs missions habituelles, moyennant les précautions sanitaires indispensables. C’est le choix qu’a fait un de nos clients, en profitant de cette accalmie forcée pour transformer son organisation et ses processus, afin de redémarrer son activité dans de nouvelles conditions.

Réunissez (facilement) vos collaborateurs

En temps normal, c’est un casse-tête pour organiser une réunion, ou un atelier de travail (pardon, un « workshop »). Paradoxalement, les collaborateurs de l’entreprise sont non seulement beaucoup plus disponibles, mais on constate que les réunions démarrent à l’heure, sont mieux préparées et sont plus courtes. Bref, le rêve auquel plus personne ne croyait se matérialise en cette période de télétravail massif.

Les périodes de crises induisent aussi une cohésion et une solidarité malheureusement inhabituelles. Ce virus est pour quelques semaines notre ennemi commun. Il met bien sûr en danger nos vies, mais aussi la survie de nos jobs et de nos entreprises. En période de crise grave, le désengagement passif n’a plus sa place.

Les enseignements des crises passées

Quand on regarde dans le rétroviseur, on se rend compte que les entreprises Lean résistent globalement mieux que d’autres aux coups de grisou, comme celui que nous vivons en ce moment.

Les flux tendus, décrits comme un inconvénient (stock très faibles), sont au contraire une force : Ils permettent de ne pas disposer de stocks dont plus personne ne veut, mais aussi propager de façon continue les baisses de commandes vers les fournisseurs, évitant ainsi le fameux effet bullwhip (coup de fouet) bien connu de la supply chain. Mais c’est aussi l’occasion, d’éduquer l’écosystème de l’entreprise à ces pratiques de juste à temps et de « build to order ».

En effet, le « juste à temps » oblige à des réactions rapides en cas de rupture : Passer d’une seule énorme livraison par semaine à 10 petites livraisons, va générer 10 « opportunités de défaut », donc 10 occasions de constater un défaut, de l’analyser, et de le traiter… définitivement. On gère ainsi des « mini-crises » au quotidien qui obligent à résoudre les problèmes.

Maturité Lean

Le leitmotiv des entreprises peut-être souvent résumé par :

« Si tout va bien, pourquoi m’améliorer ? Si tout va mal, j’ai mieux à faire que de m’améliorer »

C’est donc aussi l’occasion de mesurer la maturité réelle de l’excellence opérationnelle dans l’entreprise. Celles qui n’en ont que le discours, qui ont lancé quelques initiatives sans réel changement en profondeur (organisation, attitudes managériales, autonomie des équipes, système de management des idées, arrêt au premier défaut, etc.) vont en général  baisser les bras et abandonner (ou suspendre) la démarche en espérant qu’elles « passeront au travers ».

Les autres, celles qui sont vraiment engagées dans une démarche Lean, poursuivent leurs efforts, profitent de l’inactivité temporaire pour améliorer leurs processus, leurs postes de travail, leur organisation, leur supply chain, leur qualité, sans réduire leurs ressources mais au contraire en les mobilisant activement afin de se préparer au redémarrage !

Sources

* Arnaud Cielle. CA+
Les petites curies
La découverte du Dakin
MIT Sloan. The Toyota Goup and the Aisen fire
Issac Getz. L’entreprise altruiste.
Crédit : Photo by Charr Crail

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