Entendre ce que le client ne dit pas !

Ce que le client ne dit pas

Les attentes du client sont un aspect essentiel d’une démarche Lean 6 Sigma. En effet, un chantier d’amélioration vise d’abord à mieux satisfaire le client, tout en gagnant de l’argent. La fameuse « Voix du Client » permet de concentrer l’effort sur ce qui créé vraiment de la valeur pour le client, mais elle n’est pas toujours facile à décrypter.

L’histoire de la voiture du peuple

En 2003, Ratan Tata, à la tête du constructeur automobile Tata Motors (1 million de véhicules par an), leader sur le marché indien, propriétaire de Land Rover et Jaguar, a une idée : il souhaite fabriquer « la voiture du peuple ».

Pour ce faire, il effectue une étude de marché sans précédent, interroge des milliers de clients potentiels par le biais de ses concessionnaires, diffuse des questionnaires dans des journaux, et finit par définir les contours de son modèle : Ce sera une véritable voiture, et non un scooter amélioré, petite et maniable pour circuler dans les villes encombrées d’Inde, nerveuse, légèrement surélevée pour rouler même sous les pluies de mousson, avec 4 vraies portes et de la place pour les jambes. Et enfin, cette merveille coûtera moins de 100.000 roupies, soit 1800 € !

Tata Motors, entreprise adepte du Lean manufacturing depuis longtemps, se lance dans la conception et la fabrication de la Tata Nano, censée inonder le marché indien, et démocratiser la voiture individuelle au détriment de la moto. La vision était donc claire et partagée.

Ratan Tata associe ses principaux fournisseurs à ce défi, bâtit une équipe de plusieurs centaines d’ingénieurs dirigée par Girish Wagh, 32 ans. Ce dernier ne perd pas le contact avec le terrain, puisqu’il passe chaque jour 2 heures dans l’atelier d’assemblage du prototype. Le moteur, peu puissant, est totalement modifié à 3 reprises. L’habitacle est agrandi pour permettre au grand Ratan Tata de s’en extirper avec facilité, l’arbre de transmission est allégé. Tous les composants sont passés au crible, et leur prix férocement négocié.

Ratan Tata et NanoPuis enfin, le 10 janvier 2008, la voiture est présentée au Salon automobile de New Dehli. C’est un véritable succès. Face aux carnets de commande qui se remplissent, Ratan Tata est même obligé d’organiser une loterie… Mais en 2012, peu avant sa retraite, Tata reconnaît que la Nano a été un échec. Seulement 200.000 exemplaires vendus, soit 4 fois moins que les prévisions.

Quelle est la raison de cet échec ? Pas la fiabilité, ni les performances, ni le confort de la voiture. Non, rien de tout ça : c’est son prix trop bas qui est à l’origine de l’échec de la Nano. En effet, en Inde, la voiture est avant tout un symbole de réussite. Et dans un pays en pleine croissance, « la voiture du peuple  » est devenue « la voiture des pauvres « . En dépit de milliers de questionnaires, aucun client n’avait exprimé que cette voiture devait être relativement chère et difficile à se procurer, afin de garder son statut d’objet de convoitise et de réussite sociale.

Le diagramme de Kano

En 1984, Noriaki Kano a théorisé sur les attentes et la satisfaction des clients, et à décomposé ces attentes en 3 catégories principales. Il a synthétisé son approche dans un schéma devenu célèbre, et nommé depuis « le diagramme de Kano ». En simplifiant un peu, Kano a mis en évidence des attentes implicites, des attentes linéaires et des attentes attractives.

Les attentes implicites (besoin de base)

Si vous demandez à un client ce qu’il attend d’un vol long courrier, il évoquera probablement la ponctualité, la place pour les jambes, la qualité du repas, les écrans individuels, le choix des films, et le prix…

Mais il ne dira probablement pas qu’il aimerait bien que le pilote soit formé, et que l’avion ne se crashe pas. Cela fait partie des attentes implicites : Si elles sont comblées, le client n’éprouve aucune satisfaction particulière. Car elles représentent le minimum attendu. En revanche, l’absence ou la dégradation de ce service de base provoque une grande insatisfaction.

Une voiture doit démarrer. L’eau doit couler quand on ouvre le robinet. Le lit d’une chambre d’hôtel doit être propre, etc. Ce sont les attentes « must have », le minimum requis. Toute autre promesse est vaine tant que ces attentes ne sont pas comblées.

Les attentes linéaires (besoin de performance)

Ce sont les attentes qui sont proportionnelles au service annoncé. Si une batterie de téléphone est prévue pour tenir 8 heures, la satisfaction sera plus grande si elle dure 10 heures et moindre si elle dure 5 heures. Le client est d’autant plus satisfait que la promesse est tenue. Les attentes linéaires sont typiquement celles qui résultent d’un engagement contractuel passé entre le client et le fournisseur. Ce sont surtout ces attentes qui sont exprimées spontanément par les clients.

Les attentes attractives (besoin d’enchantement)

Nommées aussi « Nice to have », elles constituent des services ou attributs auxquels le client ne s’attend pas. Actuellement, le Park Assist qui permet à une voiture de faire un créneau toute seule, fait partie du « Nice to have », les essuie-glace automatiques, l’alerte de pression des pneus, ou les cameras de recul également (mais la direction assistée ou les sièges avant réglables, font partie du « must have » !)

Si ces services ne sont pas présents, le client est indifférent, mais s’ils sont présents, le client est très satisfait et peut même manifester un attachement à la marque. Si ces attentes sont comblées, elles fournissent un avantage concurrentiel.

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Kano a donc synthétisé ces 3 attentes sur un diagramme. En abscisse, le niveau de performance d’une fonction ou d’un service. En ordonnée, la satisfaction du client.

– En rouge, les attentes « must have ». Si elles ne sont pas tenues, insatisfaction. Si elles le sont, indifférence.

– En vert, les attentes « nice to have ». Si elles ne sont pas tenues, indifférence. Si elles le sont, satisfaction

– En bleu, les attentes « linéaires ». Plus la promesse est tenue, meilleure est la satisfaction.

Et puis, n’oublions pas que les attentes des clients vont progressivement passer du vert au rouge, du « nice to have » au « must have ». Il y a quelques années, tout le monde acceptait docilement des délais de livraison de 7 jours (non-valeur ajoutée imposée au client), et Amazon faisait figure de pionnier en livrant à J+1 (avantage concurrentiel). Aujourd’hui, c’est presque devenu la norme. De même, prendre des photos avec son téléphone était le summum du « nice to have » il y a 10 ans. Aujourd’hui, personne n’accepterait d’acheter un téléphone sans appareil photo (« must have »)

Lors d’un chantier Lean 6 sigma, il est très important de collecter la Voix du client (le vrai, celui qui paye) en ne perdant jamais de vue les attentes implicites, fondamentales, car le client ne les exprimera jamais. C’est souvent par l’étude du marché, et des concurrents, que celles-ci émergeront.

C’est au pilote du chantier Lean de bâtir des questionnaires permettant de hiérarchiser les attentes sur le diagramme de Kano, afin de travailler d’abord sur l’implicite et le linéaire avant de consacrer des efforts peut-être inutiles, sur l’attractif. Il ne sert à rien de travailler sur le confort des passagers des TGV, les revues et le café offert, alors que 17% de ces trains arrivent avec plus de 15 mn de retard !

 

Sources
. Noriaki Kano : « Attractive Quality and Must-Be Quality ». 1984.
. India Abroad. « The story behind the Tata Nano ». 2008
. Gautam Sen. « A Million Cars For A Billion People ». 2015
. Le Monde Economie. « La révolution manquée de Tata Nano ». 2013

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