Pourquoi stimuler l’ingéniosité ?
La majorité des entreprises demandent à leurs collaborateurs d’avoir des idées d’amélioration, mais de même qu’on ne fait pas grandir une fleur en tirant dessus, la créativité ne se décrète pas.
Un des piliers du Lean management (et de l’amélioration continue en général) est justement cette attitude de remise en cause permanente, et de recherche de solutions d’amélioration. Il s’agit donc, au quotidien, de faire preuve de créativité, ou plutôt d’ingéniosité. Mais puisque l’ingéniosité ne se décrète pas, on ne peut que mettre en place un contexte favorable.
Un petit morceau d’acier à 3 M€
1998. Un des sites français d’un très grand équipementier automobile, fabrique des injecteurs. Et depuis plusieurs mois, le site doit faire face à un grave problème : Habituellement, les machines d’alésage percent des cylindres d’acier de 14 mm de diamètre. Or, il arrive que ces machines reçoivent une pièce de 13,9 mm. La pince qui maintient les pièces en place serre moins fort cette pièce trop petite. Quand le foret pénètre dans ce cylindre mal tenu, les pinces et le foret cassent ! Cet incident survient en moyenne 30 fois par jour. D’où mécontentement des opérateurs, arrêts de fabrication à répétition, casse de matériel, soit un coût annuel de 3,4 M€.
Un opérateur affecté à ces machines a signalé depuis longtemps le problème à la maintenance, sans succès. D’ailleurs les techniciens et ingénieurs en connaissent l’origine : située en amont, la machine à polir les cylindres, ôte 0,1 mm en trop, en raison d’un copeau d’acier coincé de temps à autre…
Au lieu de chercher à éliminer ces copeaux, notre opérateur cherche à empêcher les cylindres trop petits de parvenir à la machine d’alésage. Et il a une idée : empêcher la pince qui transporte les cylindres de se resserrer de plus de 13,9 mm (comme une pince à linge, dans laquelle on glisserait un petit caillou pour empêcher qu’elle ne se ferme trop)
On visse un petit morceau de métal dans la pince, afin que les cylindres trop étroits partent au rebut. En quelques heures, le problème fut réglé. Pour un équipementier automobile, soumis à la pression de la concurrence, cette idée toute simple a permis de réaliser plus de 3 M€ d’économies par an…
Un décapsuleur canon
Au début des années 2000, un groupe d’armement, livre en présérie, un lot de canons de 155 mm, destiné à être testés en conditions réelles. Mais les ingénieurs et concepteurs, restés en base arrière dans les labos de recherche et développement, constatent que plusieurs canons tombent en panne d’hydraulique.
En effet, la tuyauterie est abîmée, usée, râpée, et même coupée, ce qui entraîne des fuites rendant le canon inutilisable. Ces ingénieurs rapatrient les canons à l’usine et procèdent à de nombreuses analyses, sans succès. 4 mois passent… L’Armée émet des réserves sur cette livraison. L’entreprise, dont ce canon est l’un des fers de lance, se trouve dans l’impossibilité d’honorer son contrat français, mais également ses précommandes étrangères…
Par hasard, un technicien de maintenance est requis pour dépanner un des canons encore en activité, mais pour une toute autre anomalie. Il se déplace sur le champ de manœuvres et, pour intervenir plus tranquillement, attend que les soldats prennent une pause.
Alors qu’il travaille sur le canon, quelle n’est pas sa surprise lorsqu’il voit un premier soldat, puis un second, venir décapsuler leur bière sur la tuyauterie de l’engin. A cet instant précis, le technicien comprend la cause du problème sur lequel travaille les meilleurs ingénieurs depuis des mois… Si les tuyauteries hydrauliques sont usées et coupées, c’est à force d’être utilisées comme décapsuleurs !
Plutôt que de revoir toute la conception de l’hydraulique, la solution mise en œuvre fut beaucoup plus simple : livrer ce canon avec un décapsuleur (un vrai !) incorporé au châssis. Et c’est probablement aujourd’hui le seul canon au monde, livré avec décapsuleur.
Observer vraiment et agir vite !
Que retenir de ces anecdotes ? Deux points importants :
– Si un technicien n’avait pas été sur le terrain et observé l’usage du canon, il est probable que d’innombrables heures d’analyses stériles auraient été menées dans les labos du constructeur, en pure perte. Même chose pour le défaut des injecteurs. Il faut aller sur le terrain, et observer, encore et toujours.
– On évoque souvent en Lean, la notion de cause racine (root cause). Mais ici, plutôt que de passer par un bureau d’études pour redessiner les passages de tuyauterie (traitement de la root cause), on est allé au plus simple : installer un décapsuleur sur le canon. La vitesse de mise en place a été privilégiée. Rien n’empêche de repenser les tuyauteries sur le moyen terme.
Mieux vaut 60% d’amélioration tout de suite, que 90% demain.
Le management, terreau de l’ingéniosité
La majorité des entreprises qui veulent adopter le Lean concentrent tous leurs efforts sur la méthode et les outils, en oubliant l’essentiel : le respect des personnes. C’est-à-dire l’exemplarité, la franchise, la reconnaissance, la confiance, mais aussi l’exigence.
Les salariés quittent les entreprises majoritairement pour 4 raisons : l’impossibilité de faire passer leurs suggestions, les carences de la hiérarchie en terme d’écoute, le manque d’autonomie, le manque de vision. A l’inverse, que recherchent les salariés ? L’accomplissement personnel, l’appréciation par la hiérarchie, le contenu du travail, et l’autonomie. Le salaire est nécessaire, mais il n’est pas l’essentiel (voir l’article sur la motivation)
Un étude de 2002 montrait que 71% des français estimaient que « les intérêts de l’entreprise et ceux des salariés ne vont pas dans le même sens« . Et seulement 40% pensaient que « les chefs d’entreprise sont attentifs à la satisfaction de leurs salariés »
L’amélioration continue n’est donc pas seulement l’affaire d’un éventuel responsable qualité, ou d’un responsable méthodes, qui ont un rôle de support. Chaque collaborateur de l’entreprise est le mieux placé pour émettre des idées d’amélioration sur son propre poste. Négliger le management au profit des outils est la meilleure façon de ne pas les entendre.
Un système de traitement des idées
Mais stimuler ne suffit pas. Encore faut-il bâtir une organisation apte à traiter les idées émises et à les mettre en œuvre rapidement, c’est-à-dire mettre en place un système de traitement des idées. Car celui-ci, quand il existe, se limite souvent à une boîte à idées en déshérence. Or, la collecte des idées n’est qu’une (petite) partie de cette organisation qui se décline en 4 thématiques :
1. Innover fait partie du travail
2. Réaliser l’idée au plus vite
3. Faire adhérer le management
4. Ne pas lier directement idée et récompense
Un prochain article détaillera les modalités de mise en œuvre d’un tel système.
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