Le Titanic et l’arbre des causes
Tout le monde connaît le drame du Titanic : le luxe absolu, le voyage inaugural, l’iceberg, le naufrage, le premier SOS de l’histoire, la noblesse de l’orchestre, la lâcheté de certains, le courage des autres…
Mais, quel rapport entre la tragédie du Titanic et le Lean ? En fait, cette catastrophe aurait largement pu être évitée. Car ce n’est pas UNE cause qui a conduit au naufrage, mais un ENSEMBLE de causes. Certaines d’entre elles prépondérantes, et d’autres dérisoires. Mais bien que certaines causes – prises isolement – soient insignifiantes, la SOMME de toutes ces causes a bel et bien abouti à la mort de plus de 1500 personnes ce 14 avril 1912.
Et lorsqu’on se penche sur l’ensemble des causes qui ont conduit au naufrage, c’est un peu comme lorsque l’on essaie de déterminer les facteurs influents dans une démarche DMAIC.
Diagramme d’Ishikawa ou arbre des causes
Le diagramme d’Ishikawa (inventé par Kaoru Ishikawa, ingénieur chimiste japonais), permet de visualiser d’un coup d’oeil, l’ensemble des causes pouvant conduire à un effet. Donc, 1 seul effet, et n causes possibles. Outre son aspect visuel et sa simplicité, le grand interêt du diagramme d’ishikawa dans une approche DMAIC est de ne rien oublier, en regroupant les causes en 5 catégories, d’où le nom de 5M que l’on donne souvent à cet outil.
Ces 5 catégories sont les suivantes :
– Matériels (ou moyens) : Les outils, machines, logiciels, ordinateurs, etc
– Milieu : L’environnement du processus
– Main d’oeuvre : La compétences humaines, l’expérience, etc
– Méthodes : Les méthodes appliquées, les procédures
– Matières : les matières en entrée du processus
On ajoute parfois, surtout dans les services, un 6ème M : Le Management, mais on peut également considérer qu’il se trouve inclus dans la main d’oeuvre.
Les causes du naufrage et le 5M
Si l’on applique le diagramme d’Ishikawa à la tragédie du Titanic, on aboutit au schéma suivant. L’effet est bien sûr le naufrage, et les causes sont regroupées par catégories.
Matériel (ou Moyens)
Tout le monde sait que les canots de sauvetages étaient en nombre insuffisant. Bien que Thomas Andrews (l’architecte naval) les ait demandés, ils sont refusés pour des raisons esthétiques
La panneaux étanches sont trop courts. Seuls ceux de la poupe et de la proue vont jusqu’au pont D. Les autres ne montent que jusqu’au E, permettant ainsi à l’eau de passer par dessus si le navire gîte fortement
Le bateau n’est pas pourvu de freins sur l’arbre d’hélice. Là aussi, un « opérationnel » (le chef mécanicien) l’a signalé lors de la construction, mais sa hiérarchie n’a pas donné suite !
Le gouvernail est trop petit en regard de la taille du paquebot. Ce qui le rend peu manoeuvrable. Un gouvernail plus grand aurait sans doute permis de virer davantage.
Les matelots de quart à la vigie n’avaient pas de jumelles. Elles avaient disparu au départ de Southampton. Et surtout, aucun des officiers n’a voulu prêter ses propres jumelles aux vigies.
Matière
Peu de choses côté matière. Néanmoins, on sait maintenant que l’iceberg n’a pas fait une large brèche dans la coque, mais que ce furent plutôt plusieurs fines ouvertures de quelques centimètres. En cause, les rivets qui assemblaient les plaques d’acier, qui ont cassé lors de la friction avec l’iceberg. Pourquoi ont-il cassé ? parce que le taux d’impuretés constatées dans le métal était compris entre 6% et 10% (étude de T.Foecke, métallurgiste au NIST).
Milieu
Les conditions de navigation du Titanic ont contribué elles-aussi à la catastrophe. Bien sûr, en premier lieu l’iceberg lui-même. Le climat relativement doux avait favorisé la fonte de la banquise et la présence de quelques icebergs. Ces icebergs avaient d’ailleurs été signalés par d’autres bateaux (voir main d’oeuvre)
Ensuite la nuit sans Lune. Donc des vigies sans clair de Lune et sans jumelles.
L’eau était glacée (-2 °C). C’est surtout de froid que sont mortes la plupart des personnes qui sont tombées à l’eau, et non de noyade.
Enfin, il n’y avait pas de vent, et donc pas de vagues, qui auraient pu faire de l’écume à la base de l’iceberg, et permettre aux vigies de le détecter plus tôt.
Méthodes
En premier lieu, la vitesse excessive du bateau. Le capitaine Edward Smith, probablement mû par son orgueil, souhaite finir sa carrière sur un succès. En dépit du fait que les icebergs soient signalés, et que le navire fait son premier voyage, il fait route à 23 Nds.
De façon à ne pas déranger ses passagers prestigieux, Smith ne fait pas exécuter les exercices d’évacuation.
Lorsque l’iceberg est signalé par la vigie, le barreur n’a aucune autonomie, et perd de précieuses secondes à attendre les ordres du second. Celui -ci donne l’ordre d’inverser la vapeur, donc de stopper le navire. Or, non seulement cette manoeuvre est très lente car il n’y a aucun frein d’arbre d’hélice (voir Matériel) mais elle est contre-productive car plus un navire est lent, moins il est manoeuvrable. Erreur de pilotage donc.
Enfin, lorsque le lieutenant Boxhall calcule la position du navire afin de faire envoyer le SOS par radio, il se trompe dans ses calculs (eh oui il n’y avait pas de GPS à l’époque !). De ce fait, le Carpathia, qui est le plus proche du Titanic, n’arrivera pas tout de suite à l’endroit du naufrage… et l’épave restera introuvable pendant 73 ans.
Main d’oeuvre
Une heure avant la collision, le Californian envoie un message signalant un iceberg sur la route du Titanic. L’opérateur radio lui demande de se taire, car il traite les messages personnels des passagers.
Après l’impact avec l’iceberg, aucune alerte générale n’est déclarée sur le bateau. Les passagers continuent normalement leurs activités pendant 45 mn. Aucun message n’est envoyé aux autres paquebots.
Les consignes d’évacuation sont données exclusivement en anglais. Or, les étrangers étaient très nombreux, particulièrement en 3ème classe.
Enfin, l’équipage s’avère totalement inexpérimenté : les premières chaloupes partent quasiment vides. Certaines tombent à la mer à l’envers. En tout, environ 400 places sur les chaloupes ne seront pas occupées.
Conclusions
Le diagramme d’Ishikawa peut être utilisé dans des contextes très différents :
– Résolution de problème, pour essayer de lister les causes possibles, comme nous venons de le faire pour le naufrage du Titanic
– Prévention, comme dans le cas d’un nouveau projet, pour passer en revue tous les impacts, ou tous les facteurs de risque, ou simplement tous les points à ne pas oublier
– et bien sûr, dans le cadre d’un chantier Lean 6Sigma (DMAIC), en phase Définir, pour essayer de détecter les facteurs influents sur la variabilité du processus étudié.
Enfin, il faut garder à l’esprit que l’enchaînement des causes du drame du Titanic se reproduit chaque jour dans des entreprises. Heureusement pas avec les mêmes conséquences, mais avec la même cinématique : des petites défaillances qui, en se cumulant aboutissent à un désastre, qu’il soit économique, environnemental ou humain.