L’urgence : une amie qui vous veut du bien
30 mars 1898. Après trente ans d’atermoiements et de négociations, la Ville de Paris vote enfin une loi reconnaissant d’utilité publique le Métropolitain. Après Londres, New-York, et Budapest, Paris va enfin se doter d’un chemin de fer souterrain. Oubliant sa responsabilité dans les années de retard passées à discuter autour d’une table, Paris souhaite à présent que le métro soit opérationnel pour l’Exposition Universelle qui ouvrira le 14 avril 1900.
Un inconnu célèbre
Mais qui sera assez fou et compétent pour accepter ce défi : construire en moins de 18 mois une ligne de métro de 17 km qui traverse Paris ? Le volontaire se nomme Fulgence Bienvenüe, 46 ans. Il est ingénieur des Ponts et Chaussées. Il a conçu le funiculaire de Belleville, puis a été affecté au service des eaux et égouts. A 29 ans, il a perdu son bras gauche dans un accident.
Les travaux démarrent donc le 4 octobre 1898. Soit 557 jours, pour relier la Porte de Vincennes à la Porte Maillot, le tracé de l’actuelle ligne 1. Le tout sans aucun moyen moderne de perçage de tunnel, et bien sûr, sans Excel, ni Powerpoint.
A cette époque, les avenues de Paris sont sillonnées par des fiacres. Impossible de creuser un tunnel fiable et sécurisé en si peu de temps. Etant donné l’urgence, il s’agit d’être imaginatif et de se concentrer sur l’essentiel : Bienvenüe décide donc de ne pas percer un tunnel, mais de creuser les avenues de Paris, s’attirant la colère des parisiens.
Une gigantesque tranchée traverse donc Paris et les rails sont posés au fond de cette tranchée. Celle-ci est recouverte provisoirement de poutres d’acier et de grilles pour éviter les chutes. Puis totalement refermée pour reconstituer les avenues. Le 19 juillet 1900, en pleine exposition universelle, le métro est inauguré et est un succès immédiat ! Cette ligne transporte aujourd’hui, plus de 700.000 personnes par jour.
Fulgence Bienvenüe a gagné son pari. Il supervisera la construction des autres lignes jusqu’à l’âge de sa retraite, à 80 ans ! Tout le monde a pourtant oublié son nom…
Un avion de légende… en 4 mois !
1940. L’Angleterre perd beaucoup d’avions de chasse à cause des batteries anti-aériennes allemandes. Elle décide de se doter d’un chasseur américain, le P40 de North American Aviation et exige une première livraison dans un délai de 4 mois ! Mais Dutch Kindleberger, le patron de North American propose de concevoir et produire un nouveau chasseur, révolutionnaire.
Les britanniques acceptent mais exigent que le prototype soit livré dans le même délai, soit 4 mois. 4 mois pour concevoir et bâtir un prototype d’avion, en 1940 ! Mais la situation est très tendue et la chasse britannique est décimée. Il faut faire vite.
Là aussi, il s’agit de se concentrer sur l’essentiel. L’avion est conçu et assemblé en 102 jours. Mais il sort de l’usine le 9 septembre sans moteur ni freins. L’armement est inexistant mais l’emplacement des mitrailleuses est peint sur les ailes ! Mieux vaut avancer sur ce que l’on maîtrise que d’attendre. Doté de son moteur Alisson début octobre, l’avion fera son vol d’essai le 26 octobre, soit 149 jours après la signature du contrat. Une prouesse incroyable, même encore aujourd’hui.
Le premier avion de série vole 5 mois plus tard. Ce sera le célèbre Mustang P51. 15600 exemplaires seront produits. Cet avion a non seulement été conçu et fabriqué en un temps record, mais il est innovant (rayon d’action, aérodynamisme, armement). Il est incontestable que le P51 a marqué un tournant de la guerre et contribué à la victoire alliée, de par sa suprématie, son rôle dans l’accompagnement des bombardiers, et dans le débarquement de 1944.
Et le Lean dans tout ça ?
Ces succès, et bien d’autres, comme la construction de la Tour Eiffel ou la mission de sauvetage d’Apollo 13, ont toutes un point commun : une date butoir, une « deadline ». Ce jalon qui doit être tenu à tout prix et qui oblige à :
– Avoir une vision claire et partagée par tous. Dans ces exemples, chaque personne impliquée dans le projet connaissait précisément la date butoir et les enjeux.
– Avoir une efficience maximale, c’est-à-dire se concentrer sur l’essentiel, sur ce qui créé de la valeur, en laissant de côté le reste, tout le reste.
– Produire tout de suite, sans attendre. Mieux vaut le perfectible tout de suite que la perfection un jour. Bienvenüe ne creuse pas de tunnel, et les américains sortent un avion sans moteur.
– Tenir compte de toutes les idées, en oubliant hiérarchie et jeux de pouvoirs. Etre imaginatif. Prototyper et progresser par itérations successives (amélioration continue).
– Ce qui implique l’autonomie des collaborateurs, la confiance, et le respect mutuel.
– Résoudre les problèmes au moment où ils se produisent, et non pas « plus tard »
Pourquoi donc, un fois passée l’urgence, tout redevient-il comme avant ? Les chantiers s’enlisent, le reporting se multiplie, les petites luttes internes aussi, et la réunionite se répand comme une gangrène. Et si les entreprises se comportaient toujours en situation d’urgence ? Avec bon sens, pragmatisme, efficacité, confiance et écoute respectueuse, en éliminant tout ce qui ne contribue pas à une vision partagée ?
Précisément, ces valeurs et attitudes sont celles du Lean management. Celui-ci impose un décloisonnement managérial total : une remise en cause bien plus difficile à mettre en œuvre que les myriades d’outils du Lean (5S, TPM, VSM, Obeya, 5P, etc) qui, appliqués seuls, ne font que des déçus.
« Tant que les cadres dirigeants n’oublieront pas leur ego pour se rapprocher de leurs équipes et conduire l’entreprise avec elles, ils ne profiteront pas de l’intelligence et des extraordinaires compétences de tous leurs collaborateurs. Nous accordons le plus grand prix à nos employés et le moins que nous puissions faire est de les écouter et d’intégrer leurs idées »
Alex Warren. Vice Président Toyota US.