Ronald, reviens ! ils sont devenus fous.

Bandeau Ronald Temps modernes

On cite souvent McDonald’s quand on veut illustrer le taylorisme qui bouge encore, mais là, McDo vient de faire un pas de plus dans l’anti-lean radical. En n’écoutant pas ses clients et en inventant le système le plus anti-productif au monde. Il fallait oser. McDo l’a fait.

Le taylorisme mode d’emploi

Rappelons en deux mots ce qu’est le taylorisme : Il s’agit d’une méthode de travail, inventée par Frederick Taylor à la fin du XIXème siècle, et publiée en 1911. Les principes sont simples.

Principe N°1 : Les ingénieurs conçoivent la façon de travailler. Les ouvriers exécutent.
Principe N°2 : Découper le travail en tâches unitaires et simples. Un ouvrier = Une tâche.

Le taylorisme n’est pas le travail à la chaîne. C’est le découpage en tâches minuscules n’exigeant aucune autonomie pour l’ouvrier (le « col bleu »). Les seuls habilités à faire évoluer la façon de produire sont les ingénieurs (les « cols blancs »). Tout le monde se souvient de Charlie Chaplin dans ‘Les Temps modernes’, faisant invariablement le même geste dans un environnement déshumanisé, et continuant jusque dans son sommeil.

Le Lean a été pensé en partie en opposition au Taylorisme : Tâches moins fragmentées, mise en avant de la responsabilité, de l’implication des équipes. Intelligence collective, unités autonomes de production, flexibilité, tâches plus enrichissantes, plus variées. Ecoute du client.

McDo a vu le jour en 1937, créé par 2 frères, Maurice et Richard McDonald. Constatant que 80% des clients de leur restaurant consommaient des hamburgers, les deux frères fermèrent leur restaurant et inventèrent le premier fast food (« Speedee Service ») basé sur un pilier du taylorisme : la standardisation du produit fini. Donc limiter les produits (hamburgers, frites, coca seulement), et servir vite dans des assiettes et des gobelets en carton. Il y a aujourd’hui plus de 36000 restaurants McDonald’s dans le monde.

McDo, le taylorisme sauce ketchup

Fidèle au taylorisme, McDo vend les mêmes produits, rigoureusement identiques, dans le monde entier. Inutile d’espérer un Big Mac sans ses odieux cornichons , choisir un autre fromage que le cheddar, ou demander un pain spécial. Non. vous n’êtes pas chez Subway. Vous prenez ou nous ne prenez pas, mais le produit est le même, du contenu au packaging, où que l’on aille, de Londres à Tokyo. Même si McDo a dû faire quelques concessions dans certains pays, constatant qu’on ne peut pas toujours se passer du client…

Côté fabrication, toutes les tâches sont découpées très finement en respectant l’adage de Frederick Taylor : une tâche = un ouvrier. Par exemple, il faut 4 « équipiers » pour réaliser un hamburger : un qui fait chauffer le pain et place la sauce, le second qui place le steak (tenu au chaud), le troisième met le fromage, et le dernier la garniture. Il faut au plus 2 minutes pour fabriquer un Big Mac emballé, dont 13 secondes pour le pain, 20 secondes pour la viande, 11 secondes pour les cornichons, etc.

Car tout est strictement chronométré et documenté. Il n’y a aucune place pour l’initiative. Même le lavage des mains (ou du sol) est réglementé par des doses et des temps.

Enfin, pas de « flux tiré » (principe lean). Les produits les plus demandés sont au contraire « poussés » (c’est-à-dire fabriqués sans aucune demande client) et jetés au bout de 20 mn si personne n’a acheté, grâce à un système de timers en caisse et en cuisine.

Quand le taylorisme s’étend aux clients

Récemment, le retour en force de la concurrence a provoqué une tempête sous les crânes chez McDo. Je viens de vivre deux expériences en famille, dans deux McDo différents, et le constat est accablant ! Regardons dans le détail.

9 voitures attendent au McDrive. Sachant que le temps moyen pour servir un véhicule est d’environ 5 minutes, cela signifie 45 mn d’attente pour le pauvre malheureux de la neuvième voiture. Je passe et décide de me garer car, et c’est un comble, il est plus efficace de se faire servir à l’intérieur et de partir avec son sac, que de passer par le McDrive.

Je me dirige donc benoîtement vers les caisses pour commander. Et là, ô surprise, une demoiselle aux couleurs de McDo m’explique « qu’il n’est plus possible de commander aux caisses » et elle nous « invite » (doux euphémisme à la mode) à commander sur les bornes en libre service.

Et c’est là que l’on pénètre de plain-pied dans un monde à mi-chemin de Brazil et Franz Kafka. La commande à la borne est chronométrée. Une minute sans activité, parce que Madame cherche sa Carte Bleue au fond du sac ? et la commande est annulée. On repart à zéro. Aucune explication sur la composition des produits. Mieux vaut être un habitué et connaître la gamme McDo. Et bien sûr, aucun être humain n’assiste les clients en difficulté.

Zone 51

Puis vient le moment de choisir dans quelle « zone » on veut être servi. Une zone ? Quelle zone ? On pourrait penser qu’un plan de la salle apparaît sur la borne. Ou qu’un affichage judicieux permet d’un coup d’œil de savoir où l’on est. Mais non, rien de tout ça. Alors, ça vient oui ? quelle zone ? Vite dépêchons-nous sinon nous allons devoir tout recommencer. Car le plus amusant c’est que même si on connaît le restaurant, comment savoir quelle zone possède des tables libres ? hmm ? Faut-il envoyer le petit dernier en reconnaissance avant de commander ?

Heureusement, McDo a pensé à tout. On peut aussi retirer son menu à la caisse. Chouette, faisons ça ! Reste à payer. Ulysse devait choisir entre Charybde et Scylla. Le client doit choisir entre Carte Bleue, avec lecteur à 1 m du sol, et clavier non rétro-éclairé. ou paiement en espèces à la caisse, avec une jolie file d’attente. Nous choisissons la Carte Bleue.

Lors de notre premier passage nous avions choisi une zone au hasard et avions attendu 32 mn que l’on nous apporte notre repas. Cette fois-ci, nous croyant plus malins, nous choisissons de retirer nos repas au comptoir. Erreur fatale. Une foule compacte d’une douzaine de clients se bouscule avec son ticket dans l’espoir d’être servi. On se croirait à la Bourse. Quatre serveurs, courtois, mais totalement désemparés scrutent anxieusement un écran situé au dessus de leur tête en criant des numéros. Les pailles ne sont plus en libre service. Les serviettes en papier non plus. L’attente durera 21 mn, montre en main !

En attendant, il faut vite bloquer une table et prendre position, pendant que l’un de nous joue à la sentinelle et reste debout à attendre les plats. J’ai une pensée émue pour ceux qui ont choisi de payer en espèces, condamnés à attendre 2 fois : une fois pour payer, et une fois pour retirer leurs plats. ça, c’est du Lean ! Le tout au milieu des clients excédés par cette incurie et ce chaos.

Question piège : Dans quelle boîte se trouve le vrai CBO ?

Après avoir récupéré notre joli plateau, nous constatons qu’il y a 2 boîtes CBO alors que nous avions commandé un CBO et un « Grand Premium ». Après réclamation à la caisse (encore 5 mn pour accéder au comptoir), on nous explique doctement que l’on emballe des hamburgers différents dans des boîtes identiques car ils sont en rupture… Pratique pour identifier ce que l’on sert !

Où est passée la Voix du client ?

Bref, McDo n’a plus de « fast food » que le nom. Mais qui donc a demandé à McDo de faire un service en salle ? Où est la Voix du Client ? Les clients qui veulent être servis à table vont dans un restaurant, pas chez McDo. D’autre part, les « serveurs » n’ont aucune expérience du service en salle, puisqu’ils ont toujours travaillé au comptoir. Je passe sur la désorganisation absolue et les carences visibles du management dans ce nouveau mode. Enfin et surtout, cette approche est aux antipodes de ce que l’on attend d’un fast food : commander, être servi rapidement, et s’installer avec un repas chaud.

Il paraît, si j’en crois le site officiel, que « McDonald’s réinvente l’expérience de ses clients » Les sites de marketing et de transformation digitale applaudissent et ne tarissent pas d’éloges sur « la marque de restauration la plus innovante au monde ». J’invite ces brillants marketeurs à venir échanger sur le sujet dans un McDo. On aura tout le temps d’en discuter en attendant, à table, nos hamburgers froids.

 

 

2 Commentaires

  • Frédéric, totalement en phase avec toi. Avec les mêmes choix (pas de drive), les mêmes questions (quelle zone ??!) et les mêmes contraintes/attentes. J’ai eu le malheur une fois de ne pas payer par carte. Arf, malheureux …

    J’ajouterais quelques éléments en plus :
    . une première version catastrophique de la borne, testée à Hyères il y a qlq temps. Impossible de retrouver facilement ce que j’avais sélectionné, complexité de regroupement des produits, … Et pourtant, je m’y connais un peu en interface numérique … ;)
    . une seconde version plus efficace (l’actuelle). Mais allez pour rire, essayez de modifier votre commande en cours de route (j’avais 1 frite en trop). Je vous donne un indice : il n’y a aucune indication de « clic-doigt » et la zone n’est pas définie (cadre).
    . toujours sur l’interface (toute version), la demande pour chaque produit de « quelle sauce ». Mais bon sang, je n’en prends jamais. Demandez-le-moi au début … Mieux, reconnaissez-moi et comme cela vous ne me poserez plus la question. Avec le summum de ce cas : impossible de ne pas choisir de sauce (pas de bouton ou bouton inopérant dans la 1ère version)
    . la blague de « j’ai oublié de prendre 2 bouteilles d’eau ». Vas-y lance toi dans une seconde commande pour 2 bouteilles … En se rationnant, on va tous boire à la bouteille de la petite qui a pris un Happy Meal. Donc perte de CA pour McDo.

    Au final, j’ai trouvé un petit McDo – qui a d’autres soucis – dans un centre commercial, mais qui a gardé des caisses à l’ancienne. Bon sang, quel bonheur de faire la queue normalement … ;)

    Au fait si vous êtes mécontents, tentez l’expérience d’écrire au service client.
    Pour ma part, il me manquait régulièrement des choses dans mes commandes (je prends à emporter la plupart du temps). J’avais calculé – en dehors du désappointement de ma fille d’avoir un jouet garçon – que les oublis m’avait coûté environ 10€ sur un an. J’ai eu une réponse écrite (vous ne pouvez que leur écrire sur du bon vieux papier) plus d’un mois après et me disant … qu’ils transmettaient au gérant du McDo en question. Et que cette personne me contacterait … et bien évidemment je n’ai jamais eu de nouvelle, ni aucune compensation. Wouhou !

    Bref, je pense qu’ils ont ressuscité le Professeur Moriarty et ils l’ont embauché au poste de directeur de l’expérience client … ;)

  • Comment dire… Moi qui ne vais jamais chez McDO, mais alors jamais !!! je m’y suis rendue à deux reprises pendant les vacances d’été (août 2016) et dans deux pays différents : France et Portugal.

    Je vais commencer par le Portugal.

    De ce que j’ai pu en voir, il fonctionne à « l’ancienne méthode » enfin la méthode où la relation client existe encore (bonne ou mauvaise, mais cela est un autre sujet), celle ou on communique avec un être humain. Je ne vais pas rentrer dans le détail, mais acheter un menu en mélangeant l’anglais, le français et le portugais … un vrai régal ! et surtout un bon moment de rigolade avec un humain, derrière un comptoir, enfin, comme avant quoi !

    Et puis, de retour en France, je suis retournée chez McDo. Et là, contraste saisissant : affolement, panique à bord, clients mécontents, enfants en crise, ambiance tendue, machine en panne, carte bloquée, commande non-validée, salariés au bord du gouffre, …

    Patientant sagement avec mon ticket, bien visible (de peur de ne pas être vue, de ne pas être servie, de ne pas manger du tout, disons le clairement), dans une pseudo zone, je me suis mise à observer et à identifier tous les points (et ils sont très très nombreux) de gaspillages, de non-valeur, mais aussi de mécontentement, de désengagement, autant côté client que côté salarié … L’impalpable qui fait mal !

    Sous mes yeux, voir se rejouer les temps modernes, quelle désolation !

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