Archives des étiquettes : simplicité

Le poison de la complexité


Début des années 2000. La compagnie American Airlines est confrontée à une crise majeure. Sa ponctualité est régulièrement mise en défaut (31% de vols en retard). American Airlines est classée 14ème en termes de ponctualité. Les clients désertent. Pour le seul mois de juillet 2002, 130 plaintes clients concernent des correspondances ratées et des retards importants.

En parallèle, la rentabilité s’effondre. Le PDG lance alors un coûteux plan d’optimisation des processus et de l’organisation qui débouche… sur un échec cuisant. Le problème de la ponctualité ne réside ni dans les équipes, ni dans les processus, mais dans la complexité intrinsèque d’American Airlines :

  • Une flotte composée de 14 types d’avions, avec 30 configurations possibles, d’où des problèmes de maintenance, de pièces détachées et de formation
  • Des règles opérationnelles différentes selon les hubs
  • Un réseau de lignes étendu, dont certaines structurellement non rentables

Quand Gerald Arpey prend les commandes de la compagnie en 2003, son constat est sans appel : « Les tarifs que nous pratiquons ne compensent plus le coût de la complexité ». Il prend alors une direction opposée à celle de son prédécesseur. Plutôt que de chercher à améliorer la performance de l’existant, il va SIMPLIFIER.

American Airlines recentre sa flotte sur 5 types d’avions, dont 2 pour les vols moyen-courrier. Ce qui implique moins de variantes techniques, et moins de configurations cabine. Arpey, malgré l’opposition des équipes, sacrifie les “spécificités locales” au profit d’un standard unique. Les procédures au sol sont revues et alignées entre les hubs. Enfin, certaines lignes sont supprimées, non pas parce qu’elles sont déficitaires, mais parce qu’elles dégradent la performance du système global : congestion des hubs et effets domino sur les rotations.

En quelques années, American Airlines passe de la 14ème à la 2ème place en termes de ponctualité et redevient rentable.

LEGO, another brick in the wall ?

Début des années 2000, LEGO est en quasi-faillite. La cause n’est pas une baisse de la demande, ni un problème de positionnement, ni un problème de marque. C’est une explosion de la complexité interne. En 5 ans, LEGO est passé de 6 000 à 14 000 références actives de briques, donc des milliers de moules spécifiques, des pièces parfois dédiées pour un seul jouet.

Bilan : une supply chain incapable de suivre les variations de demande, et des délais internes qui dépassaient parfois le cycle de vie des produits. Ce que Knudstorp, le PDG, résumera par “Nous sommes très bons pour créer de la complexité, et très mauvais pour la gérer

Il prend alors une décision incroyablement courageuse : la suppression de 7000 références. Élimination des pièces rarement utilisées, passage de 100 couleurs à 50, fin des pièces spécifiques à un seul set. Il ne cherche pas à « optimiser la supply chain » (ou la production), mais à lui faciliter la vie. Les designers n’imposent plus leurs contraintes à l’usine. La production n’est plus là pour “absorber la créativité”. Elle devient un système stable et robuste, capable de la supporter.

Lego qui affichait 1 milliard de pertes en 2003 redevient bénéficiaire. 103 M en 2004 puis 702 M en 2005.

Simplifier avant d’optimiser

Ni Arpey ni Knudstorp ne cherchent d’abord à optimiser l’organisation, les processus ou les outils. Ils commencent par SIMPLIFIER, par réduire la complexité. Même combat chez Costco ou McDonald’s. Car on ne pilote bien que ce qui est structurellement simple !

Steve Jobs, lors de son retour chez Apple en 1997, découvre que l’entreprise produit “un tas de choses pour un tas de gens” (plus de 70 produits et services). Après avoir écouté calmement chacun de ses directeurs expliquer SA ligne de produits, il finit par hurler « Stop ! We are crazy ! ». Jobs prend ensuite la décision de couper des lignes de produits (Newton par exemple) pour « se concentrer sur 4 familles de produits uniquement, mais les rendre excellents ». Jobs démontre sa capacité à dire non à de bonnes idées pour ne retenir que la simplicité, la cohérence et l’excellence

Dans un autre registre, Xavier Niel lance l’offre Free en 2012, en rupture totale avec l’approche des concurrents. Là où Orange, SFR et Bouygues proposent des offres à tiroirs, incompréhensibles pour les clients (et les commerciaux), avec de multiples options, très difficiles à mettre en œuvre sur un plan technique et administratif, Free simplifie et propose 2 offres : 2€ et 19€ /mois illimité. Free réduit ainsi la complexité de mise en œuvre, et améliore mécaniquement la rentabilité.

Bilan : 8 millions de clients en 2 ans ! Ici, Niel ne cherchait pas à optimiser un processus, mais à pénétrer un marché avec une approche contre-intuitive : proposer la simplicité et la lisibilité plutôt que d’imaginer une offre tentaculaire à tiroirs. La simplification n’était pas seulement marketing. C’était une simplification du modèle : moins d’options à vendre, à produire, à facturer, à supporter.

« La complexité est l’ennemi de la qualité » disait Shigeo Shingo.

Le courage, dans une entreprise, n’est pas de lancer une « nouvelle offre », une « nouvelle option », une « nouvelle variante ». On ajoute, on empile, on complexifie… en n’oubliant pas de se féliciter « d’être agile”, de « faire du sur-mesure ». Complexifier à l’infini ne demande aucun courage. Il suffit en général de laisser faire.

Simplifier, en revanche, c’est accepter de décevoir des collaborateurs, de froisser des egos, peut-être même de perdre des clients… pour garantir, et parfois sauver, la performance globale.

Sources
Shifting Aircraft from uncommon to common. Atlantis Press. 2018.
Apple. How a Simple 2X2 Matrix Saved the World’s Most Valuable Company. 2024.
Developping a fleet standardization index. Federal University of Rio de Janeiro.
LEGO supply chain transformation. Keith Oliver, Edouard Samakh, and Peter Heckmann. 2007
Lean Six Sigma pour les services. Michael Georges. 2013.