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Un objectif n’est pas une vision !

Les entreprises dans lesquelles j’interviens me sollicitent en général sur une amélioration drastique de la productivité, de la qualité ou des délais. Mais je suis souvent frappé par l’absence réelle d’alignement stratégique au sommet de l’entreprise, et même souvent, l’absence de vision.

Quand je pose la question de la vision de l’entreprise, j’entends souvent : « être le numéro 1 en France » (ou en Europe ou dans le monde), ou « être l’acteur de référence » dans tel ou tel domaine, ou encore « doubler le chiffre d’affaires en 3 ans », ou « passer le cap des 100 M€ », etc, etc…

Une vision avant une stratégie

Mais toutes ces bonnes résolutions sont des objectifs, et non pas une vision. Une vision est quelque chose qui précise la raison d’être de l’entreprise, le « pourquoi ». Sans être lyrique, la vision explique en quoi l’entreprise contribue au monde. Quand Toyota exprime sa vision, il n’y est nullement fait mention d’un chiffre d’affaire ou d’une quelconque position de n°1.

« Nous souhaitons contribuer au bien-être de la société et ouvrir la voie à l’avenir de la mobilité, par la haute qualité des produits que nous fabriquons et des services que nous fournissons » Fujio Cho

Sans entrer dans des nuances plus subtiles entre mission et vision, on retrouve chez Toyota le fameux « Why » de Simon Sinek qui ne fait que reprendre des concepts connus avec sa célèbre assertion :

« Les gens n’achètent pas CE QUE vous faites, ils achètent le POURQUOI de ce que vous faites. »

On pourrait penser qu’il s’agit d’une hypocrisie généralisée, et que le but de Toyota est de gagner le maximum d’argent et d’être leader mondial. Mais il n’en est rien. La vision est le fondement de toutes les stratégies et engage l’entreprise pour des décennies, et non pour l’année en cours. Les bénéfices sont la conséquence de la vision, non son but.

Dans une interview de 2017, Didier Leroy, vice-président exécutif de Toyota, explique que la vision de Toyota est à long terme (2050), et que le comité de direction est amusé par les réactions des media lorsque le résultat annuel baisse de 5%, ou quand ils annoncent que « Toyota a perdu sa couronne de numéro 1 mondial ».

Dans leur livre « Bâties pour durer », Collins et Porras (1994) expliquaient déjà que:

« Les entreprises qui connaissent un succès durable ont des valeurs fondamentales qui demeurent inchangées, même si leurs stratégies sont constamment adaptées à un monde en perpétuel changement »

Le sentiment d’accomplissement

Donc, d’après Sinek, les consommateurs sont très attentifs à la vision, au pourquoi. Mais les collaborateurs également.

C’est parce que la vision de Toyota implique « d’ouvrir la voie à l’avenir de la mobilité » que l’entreprise a pu imaginer, produire et commercialiser la voiture hybride ou qu’elle travaille aujourd’hui activement sur la voiture à hydrogène.

Ce que ne comprennent parfois pas les dirigeants, c’est que si le cap des 100 millions de chiffre d’affaires ou la position de N°1 peut avoir valeur de motivation pour eux-mêmes, ce n’est absolument pas le cas des collaborateurs. Personne ne peut être motivé et impliqué durablement à l’idée que son entreprise devienne n°1 ou qu’elle soit leader sur son marché. Ce n’est pas une motivation de salarié, à quelque niveau que ce soit. C’est une motivation d’entrepreneur.

Les collaborateurs ont besoin du « sentiment d’accomplissement », c’est-à-dire de savoir à quoi contribue leur travail. Si ce sentiment d’accomplissement est évident dans certaines professions (médicales par exemple), il est parfois beaucoup plus difficile à concrétiser dans d’autres secteurs (l’armement, que l’on a rebaptisé « Défense » justement pour ces raisons).

Ainsi, la vision d’Apple est de « créer des merveilles pour changer le monde par l’innovation technologique », celle de Google est « d’organiser l’information du monde ».

Chez Goretex, la vision ne parle pas non plus d’argent ou de positionnement concurrentiel :

« Nous aidons les individus partout dans le monde : des pompiers aux passionnés de plein air, en passant par les citadins ou les personnes cardiaques. Notre faculté à rendre la vie plus agréable grâce à nos produits high-tech utilisés dans une multitude de domaines nous motive et nous pousse à nous surpasser chaque jour ».

De telles visions ne sont-elles pas de puissants aimants à talents ?

La vision va attirer tous ceux qui la partagent, donc à la fois attirer les collaborateurs qui souhaitent y contribuer en y consacrant leur temps et leur talent, et les clients qui s’y reconnaissent. Mais qui a envie de travailler pour le « N°1 de la logistique » ou « l’entreprise de consulting la plus rentable » ? L’argent est le café de la motivation : son effet s’estompe rapidement.

Aligner la stratégie Lean avec les objectifs

Au-delà des visions souvent embryonnaires, voire inexistantes, se pose la question de l’alignement stratégique. La notion de stratégie peut être sommairement résumée comme la meilleure route permettant de parvenir au but, donc à la vision. Dans la majorité des entreprises, des projets et des initiatives sont prises à tous les niveaux, sans réelle coordination et donc avec une efficacité moindre, voire même un mouvement brownien totalement contre-productif.

En effet, chacun possède son propre objectif (souvent annuel) totalement décorrélé de la stratégie de l’entreprise, occasionnant les fameux silos dont tout le monde se plaint, mais qui ont la vie dure, baronnies obligent. Les RH ont un objectif sur la réduction du turnover, les commerciaux sur la marge, l’informatique sur la disponibilité des applications, les achats sur la réduction des frais généraux, etc…

Comme chaque service a son propre objectif, le résultat global peut s’avérer décevant, voire paralysant, car l’objectif de l’un peut aller à l’encontre de celui du voisin. Pour reprendre les objectifs précédents : afin améliorer la disponibilité, l’informatique souhaite changer d’hébergeur pour un fournisseur plus qualitatif mais aussi plus cher, projet sur lequel le service achats va logiquement être en opposition frontale.

Mener une transformation Lean à l’échelle d’un atelier, d’un service ou d’un processus est un excellent début, dont la réussite suscite souvent des vocations, mais insuffisant pour ancrer durablement la démarche. Si les projets Lean ne sont pas alignés sur la stratégie de l’entreprise, ils n’ont aucune chance de survie.

Nous verrons dans un prochain billet en quoi l’approche très concrète Hoshin Kanri du Lean va permettre de décliner la vision en stratégie, puis de décliner cette stratégie en objectifs concrets, non pas de façon autocratique descendante, mais au contraire, de façon négociée, transparente, favorisant l’engagement et l’implication de tous. Pour une synergie optimale.

Sources :
« Bâties pour durer ». 1994. Porras & Collins
Simon Sinek. Conférence TedX. 2014
« Une heure avec Didier Leroy ». World Forum 2017.

 

 

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