L’âme humaine, coco. L’âme humaine…
« L’âme humaine coco, l’âme humaine…« . C’est ainsi que Paul Newman s’adresse à Tom Cruise dans « La couleur de l’argent » de Scorsese, pour lui expliquer que la technique seule ne suffit pas. Encore faut-il exceller dans les relations humaines.
Une trentenaire de mes connaissances, diplômée d’une grande école de commerce et ayant déjà l’expérience de plusieurs missions critiques au sein d’un cabinet de conseil parisien, m’expliquait récemment qu’elle travaillait beaucoup, qu’elle pourrait probablement gagner plus ailleurs, mais qu’elle n’avait pas envie de chercher un autre job.
Pourquoi ? Parce qu’elle estime que les rapports humains de son entreprise sont exemplaires, qu’on peut se parler librement, avec franchise. Que chacun accepte les erreurs de l’autre. Que l’on recherche systématiquement des solutions pour sortir des conflits. Que l’intérêt des clients et de l’entreprise passe devant les ambitions personnelles.
Bref, elle semblait décrire un environnement harmonieux, en dépit d’une charge très importante, d’horaires à rallonge et de déplacements. A ses dires, cette ambiance de l’entreprise serait portée par une confiance mutuelle. Et chacun sait qu’on accorde plus facilement sa confiance à quelqu’un que l’on connaît vraiment…
C’est pourquoi cette entreprise a fait le choix de l’absence totale de télétravail, sauf exception, ce qui est devenu une bizarrerie, surtout en région parisienne où les temps de transports peuvent être très importants. Mais la Direction, et surtout les salariés, à quelques exceptions près, le revendiquent et expriment ouvertement le sentiment qu’on travaille mieux en proximité directe, et non en parlant à un écran rempli de cercles avec des initiales. Que les échanges informels au café, dans un couloir ou au déjeuner sont plus riches et constructifs que les conversations par mail, Discord ou WhatsApp. En effet, on sait depuis longtemps que l’écrit seul, privant l’interlocuteur du langage non verbal (attitude, gestes, posture, regard, visage) ne véhicule qu’une faible part de l’intention et peut être à l’origine de nombreux malentendus.
D’autre part, et sans généraliser, les rapports interpersonnels dans l’entreprise sont encore souvent basés sur la culture de la compétition et de l’intérêt personnel. La lutte pour la première place se marie peu avec la notion d’équipe, que chacun appelle pourtant de ses vœux. On classe les gens dans des couleurs pour espérer qu’ils se comprennent mieux (il paraît que je suis « jaune-rouge »). LinkedIn déborde de bienveillance, de management éthique, d’holacratie, de talents, et de symétrie des attentions. Mais les résultats concrets ne sont pas toujours au rendez-vous. De la même façon, on nous explique que le 5S, le SMED, les Kanbans, les standards ou le management visuel sont la clef de l’excellence, mais là aussi, nombreux sont les déçus.
L’excellence relationnelle, socle de l’excellence opérationnelle
Dans un environnement mouvant, les entreprises cherchent constamment à améliorer leurs performances pour rester compétitives. Le Lean Management et le Six Sigma, se sont ainsi imposés comme des piliers de l’excellence opérationnelle. Cependant, la mise en œuvre de ces approches est délicate, et aboutit à des échecs fréquents.
Pourquoi ? Parce que ces approches, le Lean management, en particulier, doivent être appréhendées comme une philosophie qui exige un engagement profond des équipes, une culture de l’amélioration continue, de l’autonomie et de la responsabilité. Et que le prérequis de cette approche est une autre forme d’excellence, tout aussi cruciale : l’excellence relationnelle.
L’excellence opérationnelle se concentre sur l’amélioration des processus, l’élimination des gaspillages et des défauts, et la valeur ajoutée pour le client. Cependant, atteindre ces objectifs dépend certes des méthodes mais surtout des personnes qui font vivre ces processus. Pour que l’excellence opérationnelle se concrétise, il est essentiel que les équipes soient non seulement compétentes, mais aussi engagées, et qu’elles aient réellement envie de travailler ensemble. C’est ici que l’excellence relationnelle entre en jeu.
L’excellence relationnelle repose sur la qualité des interactions humaines au sein de l’entreprise. Elle englobe la communication, la confiance, le respect mutuel, et la capacité à résoudre les conflits de manière constructive. Sans une forte cohésion d’équipe et une communication fluide, même les meilleures initiatives Lean risquent de stagner, car elles dépendent de la volonté et de la capacité des individus à collaborer, à s’entraider.
Souder l’équipe, un socle indispensable
L’excellence opérationnelle implique de porter l’accent sur la défaillance des processus et non celle des personnes. On part du principe simple que chacun fait de son mieux et est engagé dans la recherche du succès commun. La recherche systématique de causes et non de coupables. Plutôt que de blâmer, on se posera systématiquement la question : « Comment le processus a-t-il permis que cette erreur survienne ? »
Souder l’équipe implique donc une double évolution : celle des rapports du manager avec l’équipe, mais aussi celle des membres de l’équipe entre eux. Que l’on peut résumer à quelques axes principaux
- Confiance et transparence : La confiance est le fondement de toute relation de travail saine. C’est à dire la transparence des actions et des décisions, ainsi que le respect des engagements. Une communication ouverte, où chacun se sent libre d’exprimer ses idées sans crainte, est essentielle. Les managers, à tous les niveaux, jouent un rôle clé en étant des modèles de cette transparence.
- Développement de compétences relationnelles : Les compétences techniques sont nécessaires, mais elles doivent être complétées par des compétences relationnelles. La formation en communication, en gestion des conflits, et aux principes de l’intelligence émotionnelle permet aux équipes de mieux se comprendre et de collaborer plus efficacement.
- Impliquer les équipes : Lorsque les collaborateurs sont réellement impliqués dans les décisions qui affectent leur travail, ils s’engagent plus activement dans la mise en œuvre des changements. Et cette implication renforce leur sentiment d’appartenance et leur motivation
- Valoriser les réussites collectives : Reconnaître et célébrer les succès, même modestes, est essentiel pour renforcer la cohésion d’équipe. En les attribuant systématiquement aux équipes et non aux individus. Cela permet de maintenir un niveau élevé de motivation et d’encourager un esprit de collaboration. Cela doit également se traduire dans le choix des indicateurs de performance.
L’hôpital Virginia Mason (Seattle) est un cas documenté de cette synergie entre excellence opérationnelle et relationnelle. Confronté à des défis majeurs en matière de sécurité des patients, l’hôpital a adopté une démarche Lean Management. Cependant, le succès de cette aventure n’aurait pas été possible sans une attention portée aux relations humaines. Les équipes ont donc été formées aux outils et pratiques Lean, mais aussi à la communication, à l’entente, à la gestion des conflits, et au travail en équipe. Et c’est cette double approche qui a permis d’atteindre les objectifs opérationnels, mais aussi d’améliorer la satisfaction des équipes et des patients.
L’excellence opérationnelle ne peut être atteinte sans l’excellence relationnelle. On ne fait pas pousser une fleur plus rapidement en tirant sur sa tige. Pour qu’elle s’épanouisse, il faut lui offrir un sol fertile, de l’eau, et du soleil. En combinant excellence opérationnelle et relationnelle, les entreprises renforcent non seulement leurs performances, mais instaurent une culture où l’entente et l’efficacité collective deviennent des leviers majeurs de succès.