Support client : Caramba, encore raté !
Si Ramon, le méchant de « Tintin et l’oreille cassée » vivait à notre époque, et utilisait les supports client mis en place par les grandes marques, il est probable qu’on l’entendrait crier son juron célèbre : « Caramba ! Encore raté ! »
Des expériences récentes me démontrent – une fois de plus – que les grandes marques considèrent le support client comme tout à fait secondaire, très éloigné de leur « vrai métier« , plutôt source de coûts que créateur de valeur.
Sephora. « C’est pas moi, c’est l’autre ! »
Mon fils, se rendant à l’anniversaire d’une amie, décide de lui offrir un bon d’achat Sephora. L’accès à la commande est plutôt rapide et bien pensé. Dès paiement, Sephora me promet que « je reçois la e-Carte cadeau immédiatement ». Nous validons donc l’achat. Comme l’anniversaire n’est que dans 4 heures, grâce à la magie du web, mon fils aura son e-carte cadeau largement à temps… ou pas !
Quelques minutes après le paiement, nous recevons un mail nous indiquant que « afin de limiter la fraude », des « contrôles aléatoires » sont effectués sur les commandes, et que je suis « invité » à communiquer un scan d’une pièce d’identité. Rien que ça ! J’ai hésité un instant à envoyer aussi mes empreintes digitales ou un échantillon d’urines. Néanmoins, n’ayant guère le choix (puisque le paiement a été effectué), je me plie à cette demande très limite en matière de RGPD, et expédie un scan de mon passeport.
1 heure plus tard, toujours aucun signe de la carte cadeau. Nous décidons alors de contacter le service client. Le numéro de téléphone est habilement dissimulé dans le site web pour dissuader les clients (pénibles, forcément pénibles) mais Google le trouve néanmoins.
Après quelques minutes d’attente, nous tombons sur une personne ne parlant qu’un français extrêmement limité m’obligeant à de gros efforts. Après quelques explications (laborieuses) pour expliquer que nous attendons toujours la e-carte cadeau payée, elle nous répond que « ce n’est pas Sephora qui gère ces cartes, mais un sous-traitant » et qu’en conséquence, elle « ne peut rien pour nous ». Très commercial.
Elle s’apprête à mettre fin à la conversation, mais j’insiste, lui demandant au moins un délai. Elle propose alors de « demander à son manager ». Trois minutes plus tard, elle nous annonce que « le délai annoncé par le sous-traitant peut aller jusqu’à 72 heures », et raccroche. Oui, oui, 3 jours, pour une e-carte cadeau ! Elle ne demande même pas le numéro de commande pour accélérer la chose. Caramba, encore raté !
Canal+. « C’est la faute à l’informatique »
Deuxième péripétie récente, je contacte Canal+ pour passer d’une réception par satellite à une réception via la box. A priori, une formalité. J’appelle donc le service client de Canal+, dont je suis client depuis plus de 20 ans. Là, on m’explique d’entrée que « nous recevons actuellement beaucoup d’appels ». Nous sommes samedi, il est 19h30. Néanmoins, on m’annonce un « temps d’attente estimé à moins de 2 mn ». Bien entendu, pour 2 mn, je patiente. L’attente va se prolonger 30 mn à 0,35 € la minute soit 10,50 €, avant de me faire couper violemment avec un message me demandant de rappeler ultérieurement. Avec des pratiques pareilles, pas étonnant que Canal+ perde ses plus fidèles clients.
Auparavant, je m’étais bien entendu connecté sur mon espace client afin de demander à être rappelé. Seul souci : avec le navigateur Firefox, l’option est inaccessible, mais elle fonctionne sous Chrome. Bravo aux concepteurs de l’espace client d’avoir validé la compatibilité avec les principaux navigateurs du marché. Et personne ne m’a jamais rappelé.
Je tente à nouveau ma chance le lendemain. Là, après m’avoir écouté décrire mon besoin, un conseiller m’explique qu’il ne peut rien faire pour moi, parce que « le système informatique est en maintenance » (donc planté, en langage courant), « le rétablissement est prévu dans une heure maximum ». Par prudence, je rappelle 2 fois dans la journée. Toujours planté. Caramba, encore raté !
UPS. « Saisissez votre numéro à 18 chiffres ! »
Les anecdotes se suivent et se ressemblent : que dire par exemple d’UPS dont le serveur vocal exige que je lui épelle les 18 lettres et chiffres (!) du numéro de suivi puis ensuite, les 9 chiffres (en minuscule, sous le code barre) de l’avis de passage laissé dans la boîte aux lettres ? Sérieusement, quelqu’un s’est-il penché sur l’expérience du client ? Mais si UPS, vous savez bien : le client… le gars qui paye vos salaires…
Là aussi, après avoir traversé victorieusement l’épreuve du serveur vocal, et patienté près de 15 mn (numéro payant), je finis par avoir un interlocuteur d’une contrée lointaine, m’expliquant avec une lassitude extrême dans la voix, que je dois lui donner à nouveau les fameux chiffres, dignes d’un code nucléaire. Pour au final m’assurer que mon colis sera livré à nouveau demain avant de mettre fin à l’appel. Autant dire que je me sens parfaitement en confiance. Caramba, encore raté !
La voix du client est une pépite.
Lors des missions que nous menons, j’explique souvent que la voix du client n’est pas l’apanage du marketing, ou des commerciaux, mais de tous ceux qui sont en interaction avec le client. Cela peut être aussi bien un livreur, une standardiste, l’administration des ventes qui relance un client pour impayé ou… une personne du support client dans un centre d’appels.
Soyons clairs. Chacun fait du mieux qu’il peut. Et loin de moi l’idée d’accabler les opérateurs des centres d’appel. Leur travail est très difficile, les cadences infernales, et ils n’ont affaire en général qu’à des clients impatients ou mécontents.
Mais ces anecdotes m’inspirent deux choses.
Tout d’abord, cette mode à l’externalisation au Maghreb, en Roumanie ou dans quelque autre pays à bas coût est une hérésie de financier. Il est clair que les charges en France sont un obstacle à l’embauche, mais comment espérer qu’un opérateur d’une société basée au Maroc ait le même sens du client et du service qu’un salarié de l’entreprise, et se sente aussi impliqué dans la résolution du problème alors qu’il ne pense qu’à raccrocher le plus vite possible pour « respecter ses objectifs » (4 mn 17 maxi par client me confiait un jour une opératrice) ?
Ensuite, à force de sous-traitance en cascade, l’entreprise ne se rend pas compte qu’elle appauvrit sa relation client, et que des mails pensés par des services marketing du siège ou des serveurs vocaux interactifs ne vaudront jamais un collaborateur ayant réellement envie de servir : rapide, disponible, aimable et compétent. Nombreuses sont les entreprises à l’avoir payé cher, comme Dell, ou DHL qui ont réinternalisé rapidement leur support client après des fiascos mémorables.
Les clients attendent majoritairement 2 choses : La rapidité de mise en contact, et la qualité de la réponse. Par exemple, 86% des clients d’ING Direct estiment que l’attente ne doit pas excéder 30 secondes. Aujourd’hui, ING répond à 75% de ses appels dans ce délai, pour un volume d’environ 130.000 appels/mois pour la France. La plage horaire est aussi un élément crucial : Amazon ouvre son service client de 6h00 à minuit par exemple, et garantit un callback (rappel) en moins de 15 secondes !
D’autre part, les clients ne veulent PAS discuter avec un robot. Un robot ne comprend ni les subtilités du langage, ni l’ironie, et est en général doué d’une empathie minuscule. Le « phénomène chatbot » est pour l’instant plus proche de la bombe à brouillard marketing que d’une quelconque efficacité.
Omotenashi
Les Japonais nomment leur relation client : Omotenashi. Qu’on pourrait traduire par « hospitalité ». Aucune entreprise japonaise n’externalise son service client en dehors du Japon. Elle n’utilise pas non plus les mails (trop lents) ou les très branchés chatbots. Non, elles utilisent en général des êtres humains qui répondent (très) rapidement au téléphone, avec des plages horaires très étendues (souvent en 24/7), et qui mettront toute leur énergie à trouver la réponse à votre demande, quel que soit le temps passé. Le tout avec le sourire, car rappelons-le, le sourire s’entend au téléphone !
La « voix du client » au téléphone (ou au clavier) est une pépite. Comment est extraite et exploitée cette pépite si la personne au bout du fil (et du monde) ne partage pas les enjeux de l’entreprise, et ne pense qu’à terminer la conversation en suivant un script mécanique ?
La relation client EST le cœur de métier de toute entreprise. Et on n’externalise pas son cœur de métier pour moins cher : on améliore plutôt sa performance et la qualité du service délivré pour se différencier.
Ne serait-il pas préférable de redonner aux opérateurs des centres d’appels la noblesse d’un métier qui consiste à être au service de ses clients et à les aider du mieux possible ? avec empathie, autonomie et compétence ? et à en profiter au passage pour recueillir les attentes réelles des clients pour faire évoluer le produit (ou service) de l’entreprise vers l’excellence ?
Allez, c’est Noël, on peut rêver un peu…
Sources
Le nouvel Economiste. Faut-il relocaliser les centres d’appels ?
Harvard Business Review.
The Wall Street Journal. Made better in Japan.
Vivre le Japon. Omotenashi.
Japan Times.